La nuit est noire. Noire et froide.

Sur le bord de la route, un homme marche. Seul. Il ne porte pour tout bagage qu'un blouson élimé aux manches, un jean, une paire de basket et un sac à dos. Sa vie.
Il regarde fixement l'horizon, ou plutôt l'endroit où devrait se trouver l'horizon. La route est encore longue. Alors, il tire de son sac sa bonne vieille carte. La carte de son monde, la carte de sa vie. Mais le temps a passé, et la carte n'est plus qu'un enchevêtrement incompréhensible de lignes rigides et froides, donc la signification même semble perdue depuis longtemps dans son esprit.
Mais ce n'est pas grave. Il n'a pas besoin de la comprendre pour l'aimer. C'est sa carte. La carte de sa vie. L'homme y voit ce qu'il veut y voir, et peu importe ce que les autres ont décidé de lui faire admettre, de lui imposer au travers de leurs lignes de couleur. La couleur, il y a déjà bien longtemps qu'il ne lui confère plus aucune signification.
Alors il souris. Il souris en se souvenant des lieux qu'il a visité. En haut de la carte, le Pays des Fées, en bas celui des Lutins. L'orient lui renvoie l'image des Géants et l'occident celle des Nains. Oh, l'homme sait bien que personne ne le croira s'il racontait un jour ce qu'il a vu, les peuples fantastiques que ses voyages l'ont amené à découvrir. C'est normal. Les autres ont perdu leur carte il y a longtemps. Si longtemps. Certains ne se souviennent même pas l'avoir jamais possédé.

Mais l'homme l'a lui. Sa carte, il la chérit plus que tout.

Alors, soigneusement, comme il plierait une feuille d'or fin, l'homme replie sa carte. Il sait qu'il ne la perdra pas oh non jamais il ne la perdra. D'autres ont essayé de la lui prendre, par envie, par jalousie. Aucun n'a réussi. Parce que l'homme a un secret. Sa carte, il la dissimule où bon lui semble. Elle passe de son sac en son coeur et de son coeur en son esprit, aussi facilement qu'une balle dans la main d'un prestidigitateur, disparaîssant aux yeux de l'assemblée pour ne réapparaître qu'au moment opportun.

L'homme arrivera à destination. Il le sait. Ses pas le conduiront tôt au tard là où l'herbe est plus verte, le chant des oiseaux plus clair. L'eau coulera limpide de la source et l'air aura l'odeur de pain frais. Mais la route est encore longue. Il faut continuer, continuer à avancer coûte que coûte.

Alors, nonobstant le bruit d'un coup de klaxon rageur, l'homme reprend son sac et marche.

Il n'est pas perdu. Il a sa carte.